mardi 8 septembre 2009

L'Happy Hour de Sem Cham et Japhet




A quoi bon tenir un blog si c’est bientôt la fin du monde ? On pourrait répondre que les fins sont des commencements qui s’ignorent.

Mais on pourrait tout aussi bien ne pas répondre. Les questions qui commencent par à quoi bon ne sont pas celles qui commencent par pourquoi.

Ce sont des questions de résigné. Et les résignés n’attendent pas de réponse. C’est à peine s’ils peuvent percevoir un écho de leurs interrogations. C’est à peine si je peux me demander à quel moment j’ai pu rejoindre la cohorte des résignés, et comment je me suis mis à remplacer les pourquoi par des à quoi bon, espérant dans la nonchalance qui rend les salauds magnifiques. Ce détachement égoïste avec la bonté en pourboire.

Est-ce comme une lassitude lourde ? l’urgence qui se lit mieux à tête reposée ? les amitiés qui naissent contre celles qui s’effacent ? est-ce juste une guerre avec des œillets à la boutonnière et des boutons d’or dans les champs ? l’inutilité des poètes ? la crise ? le réchauffement de la planète ? une montée de fièvre porcine ?l’imposition à tous des contradictions générales ? mes mains vides ? un désir de fin du monde ? la certitude de savoir me lire ? ou l’étonnement d’être tombé amoureux d’une chanson, quand je croyais que ça ne m’arriverait plus jamais ?

Je n’en sais rien. J’ai l’impression qu’écrire est un combat perdu d’avance. Je sais me lire, à voix basse la plupart du temps, question de pudeur. Ça devrait être suffisant, après tout. Mais il me faut autre chose, d’impudique, une gloire passagère qui me fait chiner à l’encre.

Et cette chanson, alors que je n’étais pas tombé amoureux d’une chanson depuis longtemps, elle, elle reprend, en boucle. Je ne connais pas de chansons innocentes. Pas de chansons sans intention. Celle-ci dit des choses à ma place, sans que j’arrive à en distinguer les sens erronés, malmenés dans la mélancolie abyssale. Comme pour dire et ne plus sentir que j’étouffe à ne rien dire depuis longtemps, dans ce silence qui fait juste du vent entre les noyers, une chanson lente.

Ça fait un moment que je suis là à me demander à quoi bon tenir un blog si c’est bientôt la fin du monde. Tout en guettant les signes par la fenêtre, entre deux ou trois couchers de soleil. Mais que ce dernier se couche, c’est qu’il se lève pour un autre : il y a un type à l’autre bout du monde qui m’empêche d’en finir sous prétexte qu’il commence.

Du coup, j’en ai assez des équilibres, comme j’en ai assez d’attendre.

Il y a partout mille choses à lire. Esthétiquement postées, avec des parenthèses comme des arcs bandés. A quoi bon se mêler à tout ça, dans tout ça, entre le médiocre et le moins mauvais ? A quoi bon se croire dissonant en s’imaginant que bientôt plus rien ne sonnera plus ? Qu’on l’espère comme une urgence, qu’on espère parce qu’on n’y croit pas vraiment, comme une idolâtrie des lettres. Qu’on se dit : je veux bien mourir pour tout ça, mais je veux l’écrire d’abord.

Tandis que personne ne boit plus les paroles de personne et que tout le monde paye sa tournée générale, il se peut qu’arrive la limite de l’happy hour, le verre de la dernière syllabe, le tchin’ tchin’ de l’ultime seconde. Quand l’ombre de chacun se sera volatilisée dans la ténèbre, ou le trop plein de lumière, quand le fleuve des mots se sera tari, en attendant les archéologues qui viendront lire sur ma tombe, j’écris un peu. Moi aussi. Comme Noé en son temps.

Je suis également parti photographier mille choses, au hasard. Je ne sais pas pour qui, et je ne compte pas organiser de soirées diapositives.

J’ai commencé mille récits, selon l’inspiration. Sans les achever puisqu’on ne me réclame pas de fin.

Je l’ai fait comme on laisse deux morceaux d’esquif à Ararat et un arc-en-ciel.

J’ai tout vu, et ce que j’ai tout vu, je ne l’ai pas vraiment regardé. C’est mon époque qui veut ça, où l’on s’écoute à peine, mais où nous savons tous aligner nos vérités, ces cris qui s’apparentent au silence, puisque tout s’éteint plus vite. C’est le fun du monde.

C’est alors la certitude de n’avoir plus grand’ chose à chanter qui fait psalmodier les paroles des chansons dont on ne se souvient plus. Comme des mots quelconques.

Ecrire est un combat perdu d’avance. Je ne connais pas d’écrits qui restent. Question de support. Du papier qui jaunit, au numérique qui disjoncte… il reste l’argile… Les corps sont comme des livres écornés, et voilà que la question « dans quel état j’erre ? » possède tout son sens et le contraire.

A la bibliothèque personne ne m’aime. Je m’endors sur ma quatrième. L’ancre de mon caractère bien trempée m’a échoué dans un chapitre sans titre, qui n’a rien pour plaire, même pas dix sous. A la bibliothèque, personne ne m’aimes comme tu le fais toi.

Alors si vous m’avez lu jusque là, et pensez encore me lire après, faire les choses comme elles se doivent, d’ici là que les nuages restent au ciel, et les flammes dans le feu, j’écrirai « perdu d’avance » sur tous les jeux de hasard. J’en ajouterai sur tout ce qui ne tourne pas rond, sur ce qui grippe la machine au point que ce qui se couche pour moi, ne se lèvera plus pour un autre. Comme un ultime baroud d’honneur antédiluvien étanche et électronique.